Amis blogueurs, bonjour !
Publier un livre ne signifie pas cesser de chercher !
L'échange avec les lecteurs peut même relancer les recherches sur un point ou un autre, comme ici à propos de la fin de l'aventure Pérille :
Vente de Coubertin
Le Démocrate de Seine-et-Marne du 19 mars 1938
(Montage à partir de Gallica)
Liquidation des marchandises des A.E.J.P.
La Journée industrielle 22 juin 1938
(Gallica)
J'évoquais cette fin dans mon récent livre :
Tire-bouchons français
Fabricants, catalogues et documents commerciaux
(Editions WikEdito - Paris - Mars 2025)
Livre encore disponible,
prix de souscription maintenu : 70 € + frais d'envoi
Je décrivais, pages 145 et suivantes, la fin des Anciens Etablissements J. Pérille (A.E.J.P.) : le dernier propriétaire, Louis Dequeker, en avait confié la direction à un neveu, Marcel Dequeker, personnage sulfureux s'il en est, lequel conduisit l'entreprise à la faillite et à sa fermeture définitive le 4 septembre 1937, deux ans plus tard seulement.
Je m'étonnais, comme Gérard Bidault avant moi de ce qu'en 1931 - je cite :
"Propriétaire récoltant du bordelais, Louis Dequeker va, depuis son château de Veyres, à Preignac en Gironde, devenir administrateur de l’ancienne société Pérille. Comment cet homme est arrivé à l’acquisition de l’entreprise ? C’est une énigme."
(Gérard Bidault in Les tire-bouchons français - Editions Godefroy - 2005).
Cette énigme a continué de m'interpeller, me poussant à continuer les recherches sur les Dequeker, avec l'aide précieuse de Pascale Lhermitte, mylokaphéphile et, pour moi, chercheuse attentive et efficace sur les sites spécialisés (Gallica, Archives Départementales, INPI...).
Voici donc les quelques éléments supplémentaires que nous avons retrouvés :
Les Dequeker : des joueurs de trictrac ?
Le patronyme Dequeker est porté dans le nord de la France et en Belgique. Il signifie en langue flamande : joueur de trictrac ("queker") !
Le trictrac est ce "jeu de hasard raisonné" qui inspira à Blaise Pascal sa théorie mathématique sur les probabilités, dite "Géométrie du hasard".
Les joueurs de trictrac par Mathieu Le Nain, vers 1640
(L'original se trouve au Louvre, Paris)
La famille Dequeker
Les parents de Louis Dequeker, "Louis" François Joseph Dequeker (1825-1873) et Julie Mélanie Decoopman (1827-1903), eurent six enfants :
- Marie Sophie Philomène,
- "Achille" Adolphe Joseph,
- Charles Auguste Joseph,
- "Georges" Victor,
- Louise Julie Augustine,
- "Louis" Alphonse Joseph.
Trois membres de cette fratrie nous intéressent plus directement :
- "Georges" est le père de Marcel, celui-là même qui conduira les A.E.J.P. à la faillite,
- "Achille", un des oncles, est le père d’Achille Marius Jules Charles, constructeur de chemins de fer, et le grand-père de Suzanne qu’épousera Marcel en secondes noces (et dont il divorcera) ; Achille Marius sera donc un temps le beau-père de son neveu Marcel,
- "Louis" sera le patron des A.E.J.P. et aura la mauvaise idée d'en confier la direction à Marcel.
Comment "Louis" Alphonse Joseph Dequeker s'est-il retrouvé
à la tête des Anciens Etablissements J. Pérille ?
Louis est né le 29 janvier 1863 à Rinxent, dans le Pas de Calais. La date de son décès reste inconnue.
Il s’est marié trois fois :
- le 8 avril 1885, Paris 6°, avec Blanche Hélène Joncourt (1864 - ?) : divorce avant 1900. [Blanche Hélène Joncourt s’est remariée en 1900 à Leloutre Jean Baptiste].
- le 27 février 1903, Paris 18°, avec Marie Louise Latour 1881-1904, laquelle le laissera veuf un an plus tard.
- le 11 octobre 1906, Paris 18°, avec Marie Augustine Émilie Guérin (1878 - ?).
En 1906, selon l’acte du troisième mariage, Louis Dequeker se déclare entrepreneur de travaux publics, habitant 2 rue Camille-Tahan,Paris 18°.
1907 : Achille (Marius Jules Charles) Dequeker et son oncle Louis Dequeker figurent tous deux dans l'Annuaire général de l'industrie et du commerce du 01 janvier 1907. Louis est effectivement mentionné comme entrepreneur de travaux publics.
Annuaire général de l'industrie et du commerce [...]
de Paris et du département de la Seine - 01 janvier 1907
1917 : Achille Marius Jules Charles Dequeker meurt au combat, lors de la bataille de Verdun. Il sera fait chevalier dans l'ordre de la Légion d'Honneur à titre posthume.
1921 : On retrouve Louis Dequeker comme représentant des héritiers de son neveu décédé pour reprendre la concession d’une ligne de chemin de fer d’intérêt local.
1931 : Louis Dequeker est administrateur de la Société Immobilière Industrielle et Commerciale du Grand-Morin (S.I.I.C) : cette société semble avoir été montée comme support à ses opérations immobilières.
La S.I.I.C. reprend cette année-là les Anciens Etablissements J. Pérille dans des conditions complexes qui ne seront élucidées que lors de la faillite finale, grâce à l'expertise de Me Hurel, Huissier à Coulommiers :
Le 9 juin 1931, le Tribunal Civil de Coulommiers avait converti "en vente sur publications volontaires la saisie réelle immobilière pratiquée sur M. Georges Creuse, industriel et Mme Juliette Florence Jacoutot, son épouse".
Le même tribunal avait procédé ensuite à l'adjudication des immeubles à la S.I.I.C., laquelle deviendra alors la "Société Anonyme des Anciens Etablissements J. Pérille".
De Creuse à la S.I.I.C. du Grand-Morin, puis à la S.A. des A.E.J.P.
Le Démocrate de Seine-et-Marne du 19 mars 1938 (Gallica)
Résumons : Georges Creuse et son épouse, débiteurs de la S.I.I.P., ont été contraints de régler leurs dettes en lui cédant l'entreprise.
La même année 1931, Louis Dequeker acquiert le domaine du Château de Veyres à Preignac (Gironde). Il est propriétaire, mais pas exploitant, contrairement à ce que nous pouvions penser.
Pour preuve, il publie cette année-là une offre d’emploi pour recruter une famille de vignerons-laboureurs.
La Dépèche 17.03.1931 (Gallica)
Il fera paraître de même en 1936, une offre d’emploi pour exploiter d’autres terres à Cantois (Gironde), à une vingtaine de kilomètres plus au nord :
Louis Dequeker apparait comme un homme d’affaires d’envergure, investissant dans diverses activités avant d'en déléguer la gestion.
Et c'est ainsi que, vers 1935, il confie la direction des Anciens Etablissements Jacques Pérille à son neveu Marcel, probablement en difficultés financières en raison de frasques coûteuses.
La gestion calamiteuse de Marcel aboutira deux ans plus tard à la faillite.
Marcel Jean Louis Dequeker, fossoyeur de Pérille
Marcel Jean Louis Dequeker, fils de "Georges" Victor Dequeker (1858-1911) et de Henriette Julie Céline Dervillez (1865-1930) est né le 21 décembre 1897 à Cherbourg-Octeville, Manche. Sa date de décès ne nous est pas connue.
Comme son oncle Louis, Marcel Dequeker aura eu une vie conjugale compliquée :
- Marié le 8 octobre 1923 à El Paso, Texas, USA, avec Jeanne Marie Etiennette Sassin (1896 - ?).
- Marié le 16 novembre 1929 à Paris 16°, avec sa cousine Suzanne Marguerite Dequeker (1907-1986), dont il aura deux fils : Alain et Philippe Achille. [Le divorce suivra et Suzanne se remariera le 30 septembre 1938 avec Anatole Simonod.]
- Concubinage avec une troisième compagne, Ruth Burello, finlandaise, domiciliée rue des Sablons à Paris.
- Marié le 15 septembre 1947 à Rio de Janeiro, Brésil, avec Aziadée Tinoco Lara (1913-1996) avec laquelle il aura quatre enfants : Jacques Joaquim Wladimir, Cristina Mercedes, Patricia Roxana et Catherine Marguerite.
Marcel Dequeker est un aventurier :
Les articles parus dans la presse au moment de son interpellation nous apprennent que :
- Il avait mené après la fin de la première guerre mondiale une vie d'aventurier au sein de mouvements insurrectionnels en Amérique du Sud, entre Vénézuéla, Pérou, Cuba, Colombie, Brésil, Argentine et enfin Mexique, au point d'être partout interdit de séjour.
- C'était un trafiquant d'armes, "cagoulard" membre de l'organisation extrémiste française des années 30 (O.R.S.A.M. ou C.S.A.R.), proche des généraux Franco (Espagne) et Cedillo (Mexique), ce dernier l'ayant nommé colonel.
- Revenu en France, il mena grande vie entre stations balnéaires à la mode et villes d'eau, dépensant sans compter.
- Pour le stabiliser peut-être, il se vit confier par son oncle la direction des A.E.J.P. qu'il conduisit à la faillite.
- Il créa ensuite une entreprise spécialisée dans le caoutchouc (SIMPLEX ?), à laquelle il achetait en son nom des équipements militaires pour les revendre aux insurgés espagnols et mexicains.
- il est interpellé le 15 août 1938 pour trafic d'armes, soit un an après la faillite des A.E.J.P. de Louis Dequeker.
De nombreux journaux ont fait état de son interpellation, mais Marcel Dequeker est relâché à l’issue de sa garde à vue. On ne trouve plus d'écho de cette affaire dans la presse des mois suivants.
- On perd ensuite la trace de Marcel Dequeker, jusqu'à le retrouver au Brésil après la seconde guerre mondiale (mariage avec Aziadée Tinoco Lara en 1947).
-/-
Que conclure à ce stade ?
Issu d'une famille aisée, où héros (Achille) et anti-héros (Marcel) se côtoient et où les scrupules n'entravent pas vraiment l'action, Louis Dequeker, dernier propriétaire des Anciens Etablissements J. Pérille, laisse l'impression d'un entrepreneur ambitieux, s'étant appuyé sur la SIIC du Grand-Morin pour saisir des opportunités et réaliser des acquisitions sans autre rapport les unes avec les autres que l'intérêt financier.
La fabrication de tire-bouchons devait être bien secondaire, particulièrement pour Marcel Dequeker, comme le montre d'ailleurs la qualité médiocre des modèles de cette époque :
PRESTO, AERO et CREMAILLERE
époque des Anciens Etablissements J. Pérille (1931 - 1937)
-/-
Alors, que doit-on en penser : ces Dequeker étaient-ils de bons joueurs de trictrac ?
M